41 nuances de bleu et une grenouille : quand le CRO perd le sens

41 nuances de bleu et une grenouille : quand le CRO perd le sens - Carole Da Silva

41 nuances de bleu. Et un designer qui dit stop.

En 2009, Douglas Bowman, designer en chef chez Google, démissionne.
Dans son billet Goodbye, Google, il raconte un quotidien où chaque décision devait être prouvée par les données.

Pas seulement pour un choix stratégique.
Pour une bordure de 3, 4 ou 5 pixels.
Pour la nuance exacte d’un lien bleu.

Oui, cette fameuse histoire des “41 nuances de bleu”.
Pas la cause directe de sa démission, mais le symptôme d’un mal plus profond : une culture où le test remplaçait la vision, et où les chiffres prenaient le pas sur la confiance.

Il écrivait :

“J’ai récemment eu un débat sur une bordure qui devait faire 3, 4 ou 5 pixels de large, et on m’a demandé de prouver mon choix. Je ne peux pas travailler dans un environnement comme ça.”
(Douglas Bowman, Goodbye Google, 2009)

Ce n’est pas une histoire de bleu. C’est une histoire de sens.
Et, plus largement, une histoire de CRO qui oublie son “pourquoi”. Car derrière chaque test, chaque variation, il y a une intention – ou son absence.

Quand le test devient réflexe

J’adore le CRO. Vraiment 😍.
Pour la rigueur. Pour la curiosité. Pour cette façon de questionner nos certitudes et de mettre nos intuitions à l’épreuve du réel.

Mais voilà ce que j’observe, encore et encore : à force de tester, on oublie pourquoi on teste.
Et le test, au lieu d’éclairer, finit par aveugler.
Parce que la dérive ne commence jamais brutalement. Elle s’installe. Doucement.

Un test. Puis deux. Puis dix.
Un script ajouté, un autre oublié.
Une décision “à valider par la data”.
Et petit à petit, l’eau chauffe.

Le syndrome de la grenouille

Vous connaissez cette histoire ?
Une grenouille plongée dans de l’eau bouillante saute aussitôt pour se sauver.
Mais si on la place dans une eau tiède qu’on chauffe doucement, elle s’habitue… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Le CRO “toujours plus”, c’est la même mécanique.
Tout commence avec de bonnes intentions : apprendre, comprendre, progresser.

Personne ne décide un matin :

“Tiens, je vais saturer mon site de 50 tests, ralentir mes pages et épuiser mes équipes.”

Non.
Ça se fait lentement. Presque imperceptiblement.

Mois 1 : Un petit test sur un bouton. 🌡️ 20°C
Résultat encourageant. L’eau est encore fraîche.

Mois 3 : Trois tests en parallèle. Quelques scripts ajoutés. 🌡️ 40°C
Tout va bien. L’eau est tiède, agréable.

Mois 6 : Sept expériences simultanées. 🌡️ 60°C
Le site ralentit un peu. “C’est normal, on optimise.”
L’eau chauffe doucement.

Mois 12 : Quinze tests actifs. 🌡️ 100°C
Des dashboards partout. Trois outils d’analytics qui se chevauchent.

Les équipes ne savent plus vraiment ce qu’elles testent – ni pourquoi.
Le site a perdu deux secondes de chargement.
Les résultats se contredisent.
L’eau bout.

Mais personne n’a vu la température monter.

Tester, oui. Mais avec discernement.

Alors, on fait quoi ? On arrête de tester ?
Non. On teste autrement.

Faire du CRO responsable, ce n’est pas freiner l’innovation. C’est ralentir pour mieux viser. 😇

💡 Et c’est là que se rencontrent mes deux mondes : le digital et l’humain. Le digital m’a appris la rigueur, le coaching m’a appris la présence. Ensemble, ils me rappellent que mesurer n’a de sens que si l’on reste connecté à ce qu’on veut vraiment faire grandir.

C’est remettre de l’intention dans la mesure, et de la conscience dans l’optimisation.
C’est se demander :
🌱 “Pourquoi je lance ce test ?”
🌱 “Quel apprentissage je cherche vraiment ?”
🌱 “À quel moment le test sert encore le sens ?”

Parce qu’un test sans intention, ce n’est pas de l’optimisation. C’est du bruit.

Quand je parle de CRO responsable, j’inclus trois dimensions :
🌻 humaine, dans la préservation des équipes et du sens collectif,
🌻 écologique, en limitant la dette technique et la surconsommation de ressources,
🌻 stratégique, en revenant à des tests qui éclairent plutôt qu’ils n’épuisent.

Revenir à l’essentiel

Replacer l’intention et la sobriété au cœur du CRO, c’est comme baisser le feu sous la casserole.
Retrouver une température d’équilibre. Celle où l’on peut encore réfléchir, respirer, et choisir.

Optimiser, oui. Mais pas à n’importe quel prix.

Trois piliers pour un CRO responsable :
🌱 Intention : chaque test doit répondre à une hypothèse claire. Pourquoi je teste ? Quelle décision dépend de ce résultat ?
🌱 Sobriété : mieux vaut trois expériences utiles que vingt itérations superficielles. Limiter les scripts, épurer les dashboards, préserver la performance.
🌱 Transmission : chaque résultat mérite d’être partagé, compris et intégré collectivement. Un test qui reste dans un tableur ne transforme rien.

La sobriété n’est pas un frein à la performance : c’est une condition à sa durabilité.
Le CRO responsable, ce n’est pas “moins de data”. C’est plus de discernement. C’est reconnecter la donnée à ce qu’elle sert : les utilisateurs, les équipes, la planète.

Leadership et collectif

Créer ce cadre, poser des priorités, clarifier les décisions, c’est une posture de leadership – digitale autant qu’humaine.
Douglas Bowman a choisi de partir. Nous, nous pouvons choisir autrement : créer des environnements où la mesure sert le sens.

Un CRO responsable ne se décrète pas seul. Il se construit en équipe.
Le rôle du leader, ici, c’est de sentir la chaleur qui monte, et de dire :

“Stop. On baisse un peu le feu.”

Créer ce cadre, poser des priorités, clarifier les décisions, c’est une posture de leadership – digitale autant qu’humaine.
C’est d’ailleurs ce que j’observe dans mes accompagnements : qu’il s’agisse de structurer un projet, de gérer le temps ou d’animer un collectif, le sens précède toujours la performance.

Et si on testait moins, mais mieux ?

Tester reste un formidable levier d’apprentissage. Mais encore faut-il savoir ce que l’on cherche à apprendre.

Le CRO responsable, c’est celui ou celle qui :
🌱 Pose les bonnes questions avant chaque test.
🌱 Mesure l’impact humain et environnemental.
🌱 Privilégie la qualité à la quantité.
🌱 Fait de la donnée un outil d’intention, pas une décoration.

Alors, plutôt que de tester tout le temps, et si on testait en conscience ?

🐸 Et vous, quelle température dans votre CRO ?
Faites le test (sans mauvais jeu de mots) :
✓ Combien de tests actifs sur votre site en ce moment ?
✓ Combien de dashboards consultez-vous régulièrement ?
✓ Votre dernier test : quelle décision business en dépendait vraiment ?
✓ Votre site a-t-il ralenti ces 6 derniers mois ?

Si vous ne savez pas répondre à ces questions… L’eau est peut-être déjà en train de bouillir.

Cet article fait partie de la série #DataChocolat – Clarté et audace dans le digital et l’humain

📚 Sources & ressources

  • Post original de Douglas Bowman : Goodbye, Google
  • Métaphore de la grenouille : inspirée du concept de “creeping normalcy” (Diamond, Collapse, 2005), illustrant comment les dérives progressives deviennent invisibles.

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